Le Quatrième Mur
11:35
de Sorj Chalandon
« L'idée de Sam était belle et folle : monter
l'Antigone de Jean Anouilh à Beyrouth. Voler deux heures à la guerre, en
prélevant dans chaque camp un fils ou une fille pour en faire des acteurs. Puis
rassembler ces ennemis sur une scène de fortune, entre cour détruite et jardin
saccagé. Samuel était grec. Juif, aussi. Mon frère en quelque sorte. Un jour,
il m'a demandé de participer à cette trêve poétique. Il me l'a fait promettre,
à moi, petit théâtreux de patronnage. Et je lui ai dit oui. Je suis allé à
Beyrouth le 10 février 1982, main tendue à la paix. Avant que la guerre ne
m'offre brutalement la sienne... », Le Quatrième Mur, édition Le
Livre de Poche
Un roman violent et
bouleversant. Qui nous tire de notre quotidien tranquille et superficiel. Alors
que non loin, sur terre, règne la guerre, les conflits religieux. Le chaos. Les
tirs. Les bombes. Le sang. Le héros principal, Georges, fait l’amère expérience
de ces deux mondes différents : « J'avais
hurlé qu'ailleurs, dans des berceaux, des bébés avaient eu la gorge tranchée.
Que des enfants avaient été hachés, dépecés, démembrés, écrasés à coups de
pierres. Et ma fille pleurait pour une putain de glace? C'était ça, son drame?
Une boule au chocolat tombée d'un cornet de biscuit? ». La rencontre avec Sam, un juif, porteur d’un
projet utopique, provoque son voyage au Liban où il fait face à l’atmosphère
brutale et sanglante de la guerre ; mais où il noue aussi une amitié forte
avec les individus qui croisent son chemin.
Tout démarre avec une passion
et une promesse. Le théâtre. Ce lieu de représentation, d’art où l’acteur n’est
plus qu’un être fictif. Ce lieu de résonance, éloigné du réel et pourtant
profond en signification. Sur la scène, l’homme est presque invincible, protégé
derrière ce quatrième mur qui arrête toute intervention du réel, du spectateur.
Sam, Georges et Aurore. Le
théâtre va les rassembler et les séparer. Et la promesse me diriez-vous ?
Georges quitte son cocoon parisien pour continuer le projet de son ami :
représenter Antigone de Jean Anouilh, dans un cinéma à l’abandon de
Beyrouth. Réunir des peuples qui s'entretuent, des religions et des croyances
qui s’opposent. Faire stopper ce bain de sang pour une représentation. Un
challenge des plus complexes. La détermination et le courage de Georges sont
remarquables. Cette aventure change son destin à jamais et modifie complètement
sa vision du monde. Il est spectateur de cette peinture macabre : les
corps tombent, les pleurs et les cris résonnent ; il se heurte à ce
quatrième mur, impuissant. Alors avec cette tragédie, en tant que metteur en
scène, il garde espoir en l’humanité et il espère que le théâtre marquera une
trêve.
Nous lecteurs, suivons avec
appréhension le rêve de cet homme ; les mots de Sorj Chalendon nous
percutent tels des balles, on s’horrifie face à cette cruauté, la violence du
texte nous frappe au ventre. Georges, l’étudiant en Histoire, est tout aussi
atteint que nous. La confusion nous fait parfois décrocher, de nombreuses analepses viennent scinder le récit et l'auteur ouvre son oeuvre par un incipit proleptique (la suite de la narration n'est que des retours en arrière). Ces récits enchâssés demandent donc une attention plus intense car on peut perdre le fil assez facilement.
Néanmoins on reste captivés par le texte. Quand on lit la dernière page, on ne peut constater qu'une seule chose :
le quatrième mur est tombé, une tragédie nous a été contée, le rideau se ferme.
Le Quatrième Mur est un récit brutal et tragique sur les réalités de
notre monde, entre fiction et réalité, entre guerre et paix, entre amitié et
indifférence, cette histoire est une tragédie moderne !
Gwendoline
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