Lait et Miel
11:27
de Rupi Kaur
« Construit autour de courts poèmes en prose, "Lait et Miel"
parle de survie. De l'expérience de la violence, des abus sexuels, de l'amour,
de la perte et de la féminité. Le recueil comprend quatre chapitres, et chacun
obéit à une motivation différente, traite une souffrance différente, guérit une
peine différente. "Lait et Miel" convie les lecteurs à un voyage à
travers les moments les plus amers de l'existence, mais y trouve de la douceur,
parce qu'il y a de la douceur partout si l'on sait regarder. » Lait
et Miel, édition Charleston
Lait et Miel. Un recueil de poésie contemporaine.
Ecrit par Rupi Kaur, une jeune canadienne d’origine indienne. Sur le papier,
Rupi Kaur livre son histoire personnelle, elle se libère et se soigne par les
vers. Mais pas seulement. Sa poésie peint les émotions et les expériences d’une
femme, de la femme en général. Sa place dans le cadre familial, au sein d’une société patriarcale où le leitmotiv est
souvent « sois belle et tais toi » ; ou quand on préfère dire à
une femme qu’elle est belle avant de saluer son intelligence ou son courage.
Cette œuvre dévoile la femme et son intimité, ses élans amoureux, sa sexualité,
son rapport au corps, sa beauté : de nombreux champs, chantés et
questionnés par Rupi. Les poèmes sont rassemblés quatre sections comme un
voyage, l’ascension d’une femme et son évolution émotionnelle : souffrir,
aimer, rompre et guérir. « Souffrir » ouvre le récit poétique avec
une grande intensité : les mots frappent, ils dessinent des images dures
et terriblement bouleversantes. Douleur, noirceur, abus sexuel, invisibilité de
la mère et l’enfant. Les dessins qui lient cette prose font écho à au vide, au
traumatisme violent qui s’est installé chez la fillette qu’elle était. « Aimer »
illustre l’éclosion des sentiments amoureux, la narratrice parle de cet homme à
qui elle a donné son être, son cœur et son corps. Un amour qui s’enflamme, un amour
passionnel mais toxique : « soit il [l’] éclaire / soit il [la] fait
souffrir pendant des jours » (p67).
« Rompre » parle de la rupture et des milliers d’émotions qui
traversent la femme : douleur, peine, colère, amertume, solitude. Perdre l’autre
pour mieux se retrouver avec soi-même : « je ne suis pas partie parce
que / j’ai cessé de t’aimer / je suis
partie parce que / plus je restais moins / je m’aimais » (p95). Puis vient
« Guérir » : la femme blessée devient la femme guérisseuse. Une
dernière étape aux airs de développement personnel où Rupi panse les blessures
de ses lecteurs et enroule autour de ses vers des branches positives :
déculpabiliser, accepter sa souffrance, se reconcentrer sur soi, s’aimer et
apprivoiser paisiblement sa solitude et son corps. Elle s’applique à briser les
critères de beauté définis par notre société : elle illumine le corps
féminin, un corps avec ses attributs naturels (poils, vergeture).
Cher Lait et Miel, la
douceur de ton miel m’a charmée, cependant ton lait a caillé. Un petit jeu de
mots pour dire que la poésie de Rupi Kaur m’a laissée « mi-lait mi-miel ».
Promis j’arrête. Je crois que c’est l’une des premières œuvres de poésie
contemporaine que je lis et après avoir tourné deux fois les pages de cette œuvre,
j’en viens au même résultat : j’ai aimé tout en étant déçue.
Déjà le squelette de ce recueil est déroutant : on sent
qu’il y a le désir de construire un récit qui suit une continuité et qui avance
vers une finalité : un sérénité de l’être avec ses émotions et qui il
est. Pourtant j’ai ressenti un décalage entre les trois premières sections du
livre qui ressemblent plus à des « éclats d’émotions sincères »
et la dernière étape « guérir » qui se transforme en récit de
développement personnel et féministe. Je n’ai rien de mal avec ça au
contraire : Rupi Kaur fait un joli plaidoyer sur l’égalité homme-femme en
reprenant les racines de son prénom ou dresse une image forte et bienveillante
de la femme. Le problème est que ces messages ne collent pas vraiment avec les
textes précédents où la narratrice est ballottée par ses émotion : son
regard est plus subjectif –moins universel/général que dans « guérir »-
et donc plus humain (par exemple l’étape « rompre » place la
narratrice dans une aigreur face à la femme qui a pris sa place : une
réaction naturelle mais loin de l’accent féministe montré dans la dernière
partie du recueil). Est-ce qu’il faut alors voir « guérir » comme la
preuve d’une évolution de la narratrice sur sa vision du monde – son aigreur
envers l’autre femme dans « rompre » se métamorphose en solidarité
féminine dans « guérir » - ? Je l’ignore.
La plus grande particularité de cette poésie reste son
écriture. La brièveté de nombreux poèmes, le style très épuré étonnent comme
ils font l’originalité de Lait et Miel.
Son écriture se veut directe et
touchante –des mots qui piquent nos émotions comme des aiguilles : une
sensation vive et instantanée-. Cette pratique me paraît aussi associée au
passé et au présent créatif de Rupi Kaur qui a commencé par publier ses dessins
et ses poèmes de manière singulière et désordonnée sur Instagram. De plus, le silence et les dessins complètent
la prose : derrière les vers se cachent du blanc, un trait, une douceur
silencieuse. Par exemple de dessins dans « Rompre » symbolisent une
perte, une incomplétude et une scission de l’être. Je retiens une belle image
liée à la peau de serpent pour illustrer le processus de l’oubli et de la
reconstruction : « tu es peau de serpent / et je continue de me
dépouiller de toi (…) » (p119). En résumé, dans cet art minimal d’écriture,
il y a un travail de poésie : on retrouve des anaphores, des comparaisons –de
jolies associations sur l’art d’aimer avec la peinture ou la ville- et des jeux
de répétitions. L’énonciation variable est intéressante : le « je »
de la confession et en plus du « tu » adressé au lecteur tiennent
également la main à un autre « tu ». La voix douce et forte de la
Rupi guérie s’adresse à la Rupi effondrée après sa rupture, elle fait tomber le
rideau des illusions : « (…) tu donnes et tu donnes / jusqu’à ce qu’ils
extirpent tout de toi (…) » (p106). Je retiens de très jolis poèmes, des
vers percutants et d’un autre côté, d’autres textes ne m’ont pas du tout ému :
trop exagérés, trop niais, trop semblables à des phrases à coller sur son
journal intime – comme « tu m’as touchée / sans même / me toucher »
(p64)-.
Lait et Miel est un recueil poétique
étrangement doux à lire comme difficile à aimer. Il m’a été impossible de vous
en parler sans me scinder en deux hémisphères contraires : ses mots m’ont
frappé de douceur comme ils m’ont fait lever les yeux au ciel.
Gwendoline
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