de Sarah Crossan
« Grace et Tippi sont deux soeurs siamoises
qui entrent pour la première fois au lycée. Elles se soutiennent face aux
regards des autres. Lorsque Grace tombe amoureuse, c'est tout son monde qui
vacille. », Inséparables, édition Rageot
On connaît tous cette histoire de
Platon : lors d’un banquet où les verres de vins débordent, où les mots
roulent sur la langue, Aristophane dévoile un mythe énigmatique. Avant, l’Homme
vivait constamment attaché, relié à un autre : il formait un être
démultiplié doté d’une si grande vigueur qu’il effrayait les Dieux. Zeus scinda
cet être en deux et chaque moitié, anéantie par cette punition, errait à la
recherche de sa partie manquante. Un mythe, une conception de l’amour :
l’âme sÅ“ur. Une « âme sÅ“ur ». SÅ“ur.
Deux sœurs dans un corps. Des sœurs unies par
la chair, le sang et les os. Deux âmes
qui s’entremêlent, dansent ensembles et tiennent dans leurs mains cet amour,
cette affection inédite avec sa jumelle. Symbiose fraternelle, symbiose dans la
peau. « Ma sÅ“ur me colle à la peau ». Littéralement. Grace et Tippi,
deux sœurs, deux entités distinctes glissées dans un corps. Elles se partagent
un buste et deux jambes. Être différente. Être une bête de foire. Déclencher
stupeur et dégoût. Des réactions devenues banales ; hocher les épaules,
éclater de rire et continuer à avancer. C’est leur quotidien. Affronter des
élèves préoccupés par l’unique bouton qui pousse au milieu de leur figure, c’est
tout nouveau. Nouveaux visages. Nouvelles expériences. Mains liées, elles
passent pour la première fois les grilles du lycée.
Inséparables, un roman intense et résonnant, illustrant avec
simplicité et justesse la vie des jumeaux siamois et son rapport à l’autre, Ã
son corps et à ses émotions. Sous le
regard de Grace, le lecteur se greffe à ces deux sœurs et découvre les
particularités que cette gémellité inédite induit. Attachée à sa sÅ“ur. Penser Ã
soi et à l’autre. Une intimité collective. Le même air, le même sang qui circulent
dans leur corps ; elles peuvent presque sentir leurs cœurs respectifs taper
à l’unisson. Deux émotions : étouffement et réconfort. Jamais seule.
Toujours deux.
Jusqu’Ã ce que le texte, les mots
traduits par Clémentine Beauvais, aident à reprendre notre respiration. Pour
nous lecteur et pour ses personnages. C’est léger, fracturé, poétique.
Construire le récit à la manière de vers libres est très ingénieux : des
jeunes filles emprisonnées dans un corps pour deux et des mots qui se libèrent,
qui se détachent, font voir l’espace dans le texte. Un point de vue interne :
Grace, elle seule, sa parole, son individualité, son espace. Une mise en page
épurée, miroir d’une fracture symbolique qui se dévoile lors des dernières pages.
Et ramène au début du livre, à sa couverture, à son titre « Inséparables ». Cette construction
littéraire m’a marquée tout en amenant un air de poésie à cette histoire. Pour
moi, il y a un très beau travail de traduction de la part de Clémentine
Beauvais –je n’ai malheureusement pas lu
le texte original mais il serait intéressant de comparer pour voir si la
dimension littéraire reste la même-.
Des sœurs siamoises, oui ;
adolescentes, aussi. Ici pas de récit plaintif centré sur leur gémellité. Leur
corps ne répond peut être pas aux codes de la normalité pour la société, elles
n’en restent pas moins deux adolescentes des plus normales : vivre, s’amuser,
se remplir la tête et les veines d’expériences. Sentiments amoureux peut être
bien mais romance sûrement pas. C’est un roman sur l’amour indéfectible et indescriptible
qui lie ces deux sÅ“urs attachées l’une à l’autre. Leur cadre familial n’est
oublié. Pas idéalisé ni dramatisé. C’est une famille avec ses caractères, ses
problèmes, ses disputes, ses joies. J’ai apprécié les différents arrêts sur
image sur les membres de cette famille, attachants et presque aussi complexes
que Tippi et Grace (une petite sÅ“ur danseuse, affectée par l’attention que
prennent ces sœurs extraordinaires, un papa désarmé et résigné noyant ses
soucis chaque nuit ; et d’autres que je préfère taire pour que vous les
découvriez par vous-même).
Inséparables depuis toujours,
dans leur chair et leur vie. A deux dans un corps. Et dans le cÅ“ur de l’une, l’autre
n’est jamais loin. Le destin les a liées l’une à l’autre, l’amour a réuni les
deux âmes de ces sœurs !
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Gwendoline