La voleuse de livres
09:04
de Markus Zusak
« Leur heure venue, bien peu sont ceux qui peuvent
échapper à la Mort. Et, parmi eux, plus rares encore, ceux qui réussissent à
éveiller Sa curiosité. Liesel Meminger y est parvenu. Trois fois cette fillette
a croisé la Mort et trois fois la Mort s'est arrêtée. Est-ce son destin
d'orpheline dans l'Allemagne nazie qui lui a valu cet intérêt inhabituel ? Ou
bien sa force extraordinaire face aux événements ? Au moins que ce ne soit son
secret... Celui qui l'a aidée à
survivre. Celui qui a même inspiré à la Mort ce si joli surnom : la Voleuse de
livres. », La Voleuse de Livres, édition Pocket
Une odeur de feu. Des cendres
volent, aussi lumineuses que des lucioles, aussi piquantes qu’un serpent. Elles
s’échouent sur les pavés. Maintenant froides et poussières, elles marquent de
noir peau et habits. En fond, des bruits lourds ricochent sur les murs :
des bombes tombent. Des drapeaux nazis se balancent silencieusement au bord des
fenêtres, les rues gardent le souvenir des pieds fatigués et des âmes
squelettiques qui ont traversé la ville comme des trophées ou des
avertissements pour le peuple allemand. Sur la place, une lueur rougeâtre
éclaire la nuit : le papier brûle, des bibliothèques entières se
métamorphosent en milliers de particules étouffantes et insignifiantes. Elles
emportent avec elle : le savoir et la liberté de l’esprit. Une ombre
s’éloigne furtivement de cette montagne ardente. De de la fumée s’échappe de
son manteau : une vive chaleur mordille sa peau, mais ce n’est rien
comparé à la flamme qui lui tiraille les entrailles : sauver un livre du
feu, désobéir aux ordres, et surtout au Führer. Cette petite silhouette se
prénomme Liesel, une jeune orpheline allemande, recueillie par une peintre joueur
d’accordéon au grand cœur et son épouse qui cache ses émotions derrière des
airs de marâtre. Pour Liesel, c’est une nouvelle famille et une nouvelle vie
qui se présentent à elle dans un monde où la puissance d’Hitler terrifie
l’Europe. Le monde s’effrite, s’approche du chaos cependant au bord de la
falaise une lumière à peine visible se dessine dans le brouillard. Malgré les
intimidations, les restrictions, les défilés militaires et les parades
humiliantes des prisonniers juifs dans la ville, une chose persiste : les
mots. Des mots plus forts que les armes. Une leçon que retiendra Liesel toute
sa vie. C’est dans cette atmosphère terrifiante et incertaine qu’elle découvre
la lecture. Un vol anodin et spontané scelle à jamais l’union de la fillette
avec les mots : des mots qui
élargissent l’esprit, des mots, symboles de fraternité, pour résister
contre l’oppression et l’intolérance. Des mots qu’elle sauve des flammes et qui
la sauvent en retour. Telle est l’histoire de la Voleuse de Livres.
Depuis bien longtemps j’avais été
intrigué par ce titre et cette dénomination : « voleuse de livres ».
Magnifique et mystérieux. Avant de tourner les pages de ce roman, j’ignorais
complètement que j’allais me prendre une claque. Une belle claque pour terminer
l’année 2017. Une sensation finement douloureuse et pourtant révélatrice. On
ferme le roman tout étourdi et envahi d’un sentiment beau et douloureux. Mon
expérience de lecture s’est révélée aussi puissante et bouleversante qu’une
gifle. La Voleuse de Livre ne
s’oublie pas. On s’en souvient pour sa peinture à la fois cruelle, injuste,
véritable et belle de la vie. Elle illustre les conséquences d’un monde noyé
dans le totalitarisme. J’ai terminé ce livre la gorge nouée, les milliers d’émotions qui m’ont assaillie
lors des derniers chapitres –révolte, haine, pitié, tristesse, apaisement-
m’ont complètement sonnées. Parler de mon ressenti, de mes sentiments est peut-être trop abstrait,
trop maladroit pour une chronique littéraire, pourtant il m’est impossible de
ne pas le partager. Mon ton est peut-être trop dramatique mais je n’ai jamais
été autant secouée par un livre, jamais. Oh et puis tant pis pour les surplus
de « peut-être » et de « trop », car pour moi la Voleuse de Livres se vit plus qu’il ne
se lit. L’expérience de lecture est une étape clé dans la réception de cette
œuvre. Ce roman fait vivre émotionnellement beaucoup choses et je trouve cela indispensable
de le mentionner.
L’émotion est toujours là,
présente. Même glacée et dissimulée sous l’enveloppe sèche de la Mort. L’histoire
de Liesel est entrecroisée avec une narratrice tout à fait inédite : la
Mort elle-même, qui voit les champs de batailles se transformer en mare de
sang, et les corps épuisés pousser leur dernier souffle face contre terre. Le
ton de ce personnage est froid, neutre, imperturbable. Ce choix narratif m’a
dérouté et mêlé au style de Markus Zusak j’ai dû attendre les cents pages pour
entrer pleinement dans le récit et ne pas le lâcher. Donner la voix du
narrateur à la Mort m’a d’abord mise à distance avec le texte, j’avais
l’impression d’être aussi insensible qu’elle à l’égard des personnages, que sa
froideur empêchait toute empathie pour Liesel et ses proches. Puis, le récit
avance, le style de l’auteur se déroule plus facilement dans mon esprit, et
cette froideur de la Mort, qui fait écho à la barbarie d’une société
totalitaire, se dissipe quand les livres s’invitent dans le quotidien de
Liesel. Soudain, des couleurs apparaissent, des rires, de l’amitié, de la
solidarité, et une vague d’espoir éclatent au creux des pages –lues par Liesel
et par nous, lecteur devant ce récit- . Et enfin un lien se tisse avec le roman
et ses héros.
La Voleuse de Livres est un
petit chef d’œuvre, un roman intemporel, ancré dans un fond historique qui
illustre magnifiquement bien le pouvoir des mots et de l’écriture. Qui aurait cru qu’une fillette cachant un
livre contre sa poitrine serait une image de liberté et de résistance, cette
petite lumière d’espoir qui traverse le brouillard épais de la guerre ?
❤
COUP DE COEUR
Gwendoline
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